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TrekMag n°174 – Spécial Chemins incas

Il y a 3 ans, nous avons participé au numéro spécial de TrekMag consacré aux chemins incas au Pérou, notamment dans la cordillère de Vilcabamba. Nous reproduisons ici l’introduction de Sébastien Jallade sur les chemins incas de la cordillère…

Comment évoquer les routes incas sans se perdre dans une litanie de superlatifs qui ne signifierait  rien ? Comment évoquer l’histoire exceptionnelle de ces 30 000 kilomètres de réseau, les 6 pays andins traversés, la géographie peu commune de ce qu’on nomme aujourd’hui le Qhapaq Ñan, sans omettre qu’ils sont bien plus que cela ?

Nous publions ici partiellement l’introduction du dossier, de Sébastien Jallade:

Les chemins incas, contre vents et marrées

Commençons par un constat : les chemins incas sont en voie massive d’abandon. On ne compte plus les quebradas profondes sans ponts, les tronçons en voie de destruction. Qu’ils soient envahis de marécages, bordés par des mines ou supplantés par des routes, les segments encore utilisés quotidiennement par les paysans le sont pour un usage local qui n’a rien à voir avec leur origine inca.

Assez curieusement, c’est au moment où ils disparaissent qu’on en redécouvre la portée symbolique. Jamais on a autant parlé des chemins incas. Pourtant, ils restent inaccessibles au plus grand nombre. Trop loin, inhospitaliers, méconnus, isolés des cordillères les plus célèbres, sans infrastructures touristiques, sauf à Vilcabamba, tout près de Cusco. Les anciennes voies de communication articulant la cordillère dans un axe nord-sud sont un mythe plus qu’une réalité.

Le défi, fascinant, est justement là. Le marcheur se confronte, tel un funambule juché sur un fil d’ariane menacé d’oubli, à un sentiment rare, que seule la randonnée peut offrir : un moment de liberté véritable.

De toutes les grandes chaînes montagneuses de la planète, les Andes possèdent deux particularités. Ce sont des montagnes tropicales. En une demie-journée, un voyageur peut franchir 4 ou 5 étages écologiques. Du pied d’un glacier, saisi par le froid mordant de la saison sèche, la moiteur tropical de la jungle haute n’est jamais loin. Seconde spécificité : ce sont des terres densément peuplées. Pas de défis à la nature ni de premières grandioses dans des paysages inviolés. Les vallées succèdent aux villages, les champs de maïs aux pampas d’altitude envahies de graminées. Parfois, on peut y bivouaquer dans un tambo à 4500 mètres d’altitude. Quelques heures suffiront pour croiser une école perchée à cinq heures de marche de tout lieu habité ou une bourgade envahie par la fièvre de l’or, rivée à la piste, plongeant la ville dans le bain bouillonnant de la mondialisation. Chacun son territoire, son climat, irrigués par ce qui reste des anciennes routes.

Chemin faisant, on ne fait que poser ses pas sur ceux qui, depuis des siècles, ont sillonné la Cordillère de part en part. Des personnages illustres : l’Italien Antonio Raimondi, au 19ème siècle, infatigable et méticuleux, ne voyageait jamais sans son bureau en bois. Les Andes, il les a cartographiée et inventoriée plus que quiconque à l’époque moderne. Plus récemment, Ephraim George Squier, journaliste et explorateur américain, réalisa parmi les plus belles gravures du Qhapaq Ñan, au début du 20ème siècle.

Reste les anonymes. Nous les omettons trop souvent : les arrieros (muletiers), les llameros, les caravaniers itinérants. 30 ans seulement nous séparent. Les plus hardis s’échinaient encore à relier La Paz à Ayacucho à pied – un voyage de plusieurs semaines – pour y célébrer la semaine sainte. Dans les Andes centrales, de Yanahuanca à Huamachuco, ils commerçaient au fil des anciens chemins, pour un voyage qui pouvait durer un an. Leurs enfants découvrent aujourd’hui, un peu partout, des sœurs ou des frères par le truchement des anciennes routes. Quant aux muletiers de Chuquibamba, non loin du canyon de Cotahuasi, ils trafiquaient de l’alcool ou de sel. Ils officiaient aussi comme colporteurs de musique afro-péruvienne, créoles ou de huaynos andins, partout où ils allaient.

De tous ces visages restent des objets émouvants. Des retables en bois vendus dans les marchés d’artisanat du pays, destinés aux touristes, reproduisent aujourd’hui des scènes de la vie paysanne. Il y a peu, leur ancêtre, la caja de San Marcos, se troquait dans toutes les Andes. Fabriquées par des artisans d’Ayacucho, elles accompagnaient les muletiers, comme autant d’autels portatifs, qui les troquaient avec les population reculées de la Cordillère. Les retables n’avaient de raison d’être qu’au travers des chemins. Autant de reliques du passé que d’aucun convoite comme des trésors.

La encore, ne nous trompons pas. Peux partagent notre passion pour l’histoire ou la marche, ni même la comprennent bien souvent. Cheminer sur les routes incas de la cordillère, c’est encore faire face au scepticisme, à la méfiance, sinon au désintérêt. Si bien qu’à Huamachuco, au Nord du Pérou, on éprouve avec surprise la sensation d’entrer dans la ville par effraction. La route inca s’éclipse sous un chemin rural, puis une piste, qui elle-même devient une rue pavée, pour aboutir à la plaza de armas, la place centrale, où les Espagnols ont érigé l’église. Il suffit de poursuivre droit devant pour repartir vers les contreforts des hautes Andes, isolés et battus par les vents au froid mordant, les prémices de la cordillère Blanche et ses sommets mythiques, pour retrouver la grande route inca, par un curieux jeu de piste.

Alors, où aller ? Quel chemin suivre ? Quasiment toutes les vallées étaient irriguées par les chemins incas. Son épine dorsale, le Qhapaq Ñan, traversait le Pérou du nord au sud, azimut 160°, des environs d’Ayapate à Desaguadero. L’axe longeant la cordillère Blanche sur son flanc est, de Huamachuco à Jauja, en est le legs le plus majestueux. Les escalerillas, l’Inka Naani, la pampa de Junín : certains de ses plus beaux segments sont autant de treks présentés dans ce dossier. On y croise, à San Pedro de Pari (Junín) ou Mollepata (La libertad), des églises rurales chargées de fresques datant du premier siècle du christianisme andin. On pénètre dans des enclave minières informelles où les chemins se perdent trois jours durant ou au contraire on chemine au fil de segments pavés majestueux, autour desquels les paysans vivent au quotidien.

De cet axe se déroule un maillage d’une densité rare. Le tronçon de Chachapoyas bifurquait depuis le tambo de Taparako, sur l’Inka Naani, et filait vers le nord-est. Ce fut un des rares chemins à vocation militaire : les Incas voulaient contourner le gouffre béant du Marañon, affluent de l’Amazone, pour contrôler cette enclave nichée entre Andes et Amazonie. Il en reste un des tronçons de haute montagne des plus intéressants, entre Pías et la lagune Los Condores : le Grand Pajaten, des cols empierrés prodigieusement délaissés, le tout au fil d’un itinéraire solitaire menant vers la forteresse de Kuelap, 10 jours plus tard.

C’est là que l’on ressent pleinement ce qu’étaient les anciens chemins, Incas ou pas. A Buenos Aires, les dernières caravanes de mules de la cordillère des Andes s’étalent sur les flancs désertiques d’un canyon isolé. Dans le sens de la montée : des lits, des meubles, des tuyaux d’irrigation, des caisses de bière. Au retour, les mêmes caisses de bières, mais vides, des produits agricoles, des peaux.

Impossible aussi de ne pas évoquer les chemins transversaux, qui plongeaient vers les déserts rocailleux de la côte Pacifique. Ils sont délaissés depuis longtemps, désormais inutiles. Les tronçons sont nombreux : Jauja – Pachacamac (Lima) ; Cusco – Puerto Inca ; Du Lac Titicaca vers les cordillères de Tacna et de Mocquegua. Il y eut aussi la route de Pizarro. Non loin de Chiclayo, le chemin inca s’échappe des environs du village assoupi de Zaña, aujourd’hui de culture afro-péruvienne. Il borde la vallée de Cayaltí par son flanc sud, au milieu des agaves, direction Cajamarca. Ces itinéraires sont rarement parcouru et sont autant de frontières nouvelles à explorer.

Enfin, restent les anciens chemins qui plongeaient plein est, vers l’Amazonie : ils y finissent avalés par la végétation de la jungle haute. Ils partent de Concepción vers San Ramón ou Satipo, de Chachapoyas vers le jungle de San Martín, de Lacco vers le Megantoni, d’Espíritu Pampa vers les versants tropicaux de Vilcabamba, territoires des Mastsiguengas et des Ashaninkas.

Alors, tout est merveilleux dans le royaume des anciens chemins ? Non, loin de là. Nouvel emblème du territoire andin, promu par l’UNESCO et les Etats sud-américains, le gouffre reste immense entre ceux qui les célèbrent et ceux qui vivent autour. La plupart des communautés andines restent marquées par une perception de l’identité qui n’a que peu à voir avec le Qhapaq Ñan. Ce symbole reflète aussi une vision urbaine, mondialisée, pour ne pas dire touristique, de la culture. Les marcheurs les plus éclairés dénoncent l’essor sans précédent des concessions minières sur tous les segments classés au patrimoine mondial de l’humanité. Ne nous trompons pas. Ce n’est pas le chemin inca “archéologique” qui est menacé. Ce sont les droits élémentaires des populations paysannes environnantes.

C’est aussi cela qui en fait une aventure peu commune. Aucun route mythique au monde ne permet de mieux exercer son sa curiosité que d’arpenter le Qhapaq Ñan. Tout cela par le biais de la marche.

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